Dans le cadre de la chronique Academix, du vendredi 29 Août 2025 diffusée en direct à partir de 18h30 sur les ondes de RTCI et animée par Mehdi Kantaoui, l’émission du jour a exploré un thème à la fois artistique et sociétal : « Parcours d’architecte : regards croisés sur l’enseignement et la pratique, entre défis, passions et perspectives. »
L’iInvité de cette édition était Mr Ouajdi Charbib, qui est architecte et chercheur en urbanisme, il a partagé une réflexion profonde sur la place de l’architecture dans la société tunisienne, son rôle dans la construction de la ville et la formation des futurs architectes.
Entre rigueur, créativité et responsabilité, cette rencontre a mis en lumière les multiples dimensions d’une discipline essentielle à la fois pour penser, bâtir et réinventer notre cadre de vie.
Mr Ouajdi Charbib : << L’Architecture est une Discipline essentielle >>
L’architecture occupe une place centrale dans l’histoire et l’avenir des sociétés humaines. Elle n’est pas seulement un ensemble de techniques constructives, mais une discipline qui interroge les besoins fondamentaux, la créativité et l’organisation collective. En Tunisie, comme ailleurs, elle incarne un champ de réflexion et d’action où se rencontrent héritages culturels, contraintes environnementales et aspirations contemporaines.
L’ARCHITECTURE COMME ACTE FONDATEUR : PROTECTION, CONSTRUCTION ET CREATIVITE
L’architecture peut être appréhendée comme un acte multiple qui engage la condition humaine dans sa dimension la plus fondamentale. Elle constitue tout d’abord un acte de protection, car elle répond au besoin primaire d’abri, condition élémentaire de la survie et de la dignité. Elle est aussi un acte de construction, dans la mesure où elle se matérialise par l’édification de structures durables, porteuses et capables de résister aux aléas du temps. Enfin, elle est un acte de création, puisqu’elle naît d’une intention innovante, inspirée à la fois de la nature, de l’observation attentive du réel et de l’imaginaire.
Ce triple acte illustre le rôle singulier de l’architecte : une figure en quête d’équilibre entre la rationalité constructive et l’élan créatif. L’histoire a parfois conféré à ce rôle une dimension quasi démiurgique, assimilant l’architecte à un demi-dieu capable de façonner la matière et l’espace. Pourtant, une approche plus lucide insiste sur la nécessité de l’humilité : face à la complexité de la nature, l’architecte n’est jamais que l’interprète de processus qui le dépassent. L’innovation architecturale consiste alors à repérer dans l’environnement des solutions constructives et à les transposer dans un projet cohérent, adapté à la société et à son contexte.
L’architecture est ainsi inséparable de la vie humaine : elle en traduit les besoins, en reflète les aspirations et en anticipe les évolutions.
FORMATION ET PRATIQUE : RIGUEUR, CREATIVITE ET EXIGENCE
L’apprentissage de l’architecture repose sur une dialectique permanente entre rigueur méthodologique et créativité. La réussite dans ce domaine exige des qualités spécifiques : patience, persévérance et passion. Les premières années d’étude sont marquées par un effort soutenu qui impose aux étudiants d’accepter la lente maturation de leurs compétences et de développer une discipline de travail intense. La formation ne se limite pas à l’acquisition de savoirs techniques, elle engage une posture intellectuelle qui consiste à synthétiser un grand volume d’informations, à sélectionner l’essentiel et à construire une réponse adaptée à un contexte précis. Cette capacité de synthèse s’accompagne d’une ouverture interdisciplinaire. Chaque projet constitue une porte d’entrée vers des univers multiples – historiques, sociaux, techniques, environnementaux – qui nourrissent le processus d’idéation. La créativité, entendue comme expression de la sensibilité personnelle, s’inscrit dans cette démarche d’observation et de transposition. Elle ne s’oppose pas à la rigueur scientifique et technique, mais s’y articule pour donner naissance à des solutions pertinentes et originales.
L’architecture est ainsi à la fois art, technique et science, discipline de l’inspiration et discipline de l’ordre.
Cependant, la pratique révèle un écart entre la formation académique et la réalité du terrain, notamment dans le rapport au chantier. Si la pédagogie tente de réduire cette distance par des stages, des visites de sites et une ouverture vers les acteurs professionnels, l’écart conserve une valeur formatrice. Il rappelle que l’architecture est une discipline vivante, en prise avec des contextes mouvants et des contraintes imprévisibles. L’intensité du travail, souvent qualifiée de « fatigue constructive », illustre cette exigence. L’investissement personnel dans chaque projet, prolongé par de longues heures de conception et d’ajustement, constitue un apprentissage essentiel : apprendre à dépasser ses limites pour faire émerger une solution qui porte la marque singulière de son auteur.
IDENTITE TUNISIENNE ET ENJEUX URBAINS CONTEMPORAINS
Le contexte tunisien offre un terrain particulièrement riche pour penser les articulations entre tradition et modernité, ancrage et ouverture. L’architecture y est marquée par un savoir-faire ancestral étroitement lié aux conditions climatiques et aux ressources locales, tout en ayant absorbé au fil des siècles les apports successifs des civilisations méditerranéennes et africaines. Cette mouvance confère à l’architecture tunisienne un caractère éclectique mais équilibré, capable d’intégrer des héritages multiples dans une cohérence créative. La ville, en tant que construction collective, constitue le laboratoire de ces dynamiques. Depuis l’Antiquité, elle incarne l’organisation sociale et reflète les aspirations d’une époque. De la quête de liberté dans la cité antique à l’idéal humaniste de la Renaissance, de l’instauration de l’ordre urbain à l’harmonie et à la participation, la ville apparaît comme le miroir des évolutions de la société et le moyen de maintenir sa structure.
Aujourd’hui, la ville se définit par la complexité et la négociation : complexité des attentes, des usages et des ressources ; négociation entre acteurs multiples qui co-produisent l’espace urbain.
Les crises actuelles que traversent les villes tunisiennes ne doivent pas être perçues uniquement comme des signes de défaillance, mais comme des révélateurs de potentiel. Chaque problème urbain porte en lui une opportunité de transformation. Les appropriations spontanées de l’espace public par les habitants, loin d’être des désordres, elles traduisent une urbanité, une vitalité et une capacité d’adaptation. Elles constituent des indices de l’évolution urbaine et de la manière dont la société s’approprie son cadre de vie.
Dans ce contexte, la formation et la pratique architecturales sont appelées à développer de nouvelles compétences : capacité de trier et de hiérarchiser une information surabondante, sensibilité aux signaux émanant des usages, aptitude à transformer les contraintes en ressources. L’architecture devient alors une discipline de médiation, qui conjugue héritage et innovation, ancrage local et ouverture globale, pour imaginer des solutions durables et inclusives.
SYNTHESE
L’architecture se présente ainsi comme un langage universel qui relie protection, construction et création, tout en s’adaptant aux contextes particuliers. Elle exige de la part de ceux qui la pratiquent patience, passion et ouverture interdisciplinaire, afin de concilier rigueur scientifique et créativité.
En Tunisie, cette discipline trouve un terrain d’expression singulier, marqué par une identité plurielle et une ouverture historique. Les villes, espaces de complexité et de négociation, traduisent les aspirations d’une société en mutation et révèlent que chaque crise porte en elle des opportunités de renouveau.
L’architecture est une discipline essentielle pour penser et façonner des environnements durables, inclusifs et créatifs.
