Mounir Maali: « Les universités publiques et les établissements privés d’enseignement supérieur se complètent »

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Interview avec Mr Mounir MAALI Directeur Général de l’enseignement supérieur privé et des équivalences

Une quatre vingtaine d’établissements privés d’enseignement supérieur en 2023 qui exercent en tant que facultés, instituts ou écoles supérieures. En Tunisie, l’enseignement privé couvre les domaines de l’ingénierie, l’architecture, la gestion, le droit, le commerce et le paramédical, et y sont délivrés des diplômes universitaires agréés par l’État, reconnus dans leur grande majorité à l’échelle nationale mais aussi internationale. Le point dans l’entretien ci-après avec Mounir MAALI, directeur de l’enseignement supérieur privé et des équivalences au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.

 

Le développement notable de l’enseignement supérieur privé est-il une réponse à la crise de l’université tunisienne qui ne répond plus aux besoins du marché du travail et qui produit des «surdiplômés sous qualifié » ?

Mr Mounir MAALI : Je ne dirais pas que c’est pour pallier aux insuffisances de l’université publique, c’était lié plutôt au contexte. Un contexte de réformes économiques qui encourage la création d’établissements d’enseignement supérieur privé pour répondre aux besoins d’un marché de travail en pleine effervescence qui évoluait notablement.

L’enseignement supérieur privé a été, comme je vous l’ai mentionné plus haut, une réponse aux nouveaux besoins du marché du travail.

Il y avait d’ores et déjà des investisseurs intéressés par le secteur qui avaient fondé leurs établissements privés d’enseignement supérieur bien avant la promulgation de la loi n° 2000-73. L’enseignement supérieur privé a été, comme je vous l’ai mentionné plus haut, une réponse aux nouveaux besoins du marché du travail.

Le secteur privé jouit d’une autonomie dans sa gestion et à plus de facilités pour se doter des moyens et des équipements nécessaires aux formations et aux cursus qui y sont dispensés.

Par rapport au qualificatif, surdiplômé sous-qualifié je voudrais préciser que les établissements publics dispensent, eux-aussi, des formations orientées marché du travail et sont dotés d’un corps d’enseignant qualifié dont ceux qui enseignent du reste dans le secteur privé.

Le secteur privé et le secteur public ne sont pas dans une rivalité vaine, ils se complètent sauf quelques nuances : le secteur privé jouit d’une autonomie totale dans sa gestion administrative et financière et a plus de facilités pour se doter des moyens et des équipements nécessaires aux formations et aux cursus qui y sont dispensés. Ce n’est malheureusement pas le cas du secteur public.

Est-ce que le niveau d’exigences pour ce qui est des performances scolaires dans le privé est le même que celles dans le secteur public : si jamais un étudiant n’a pas la moyenne requise pour accéder aux études médicales dans l’étatique, est-il possible d’être admis dans le privé.

Mr Mounir MAALI : Il n’y a pas d’établissements privés d’enseignement supérieur qui assurent des études médicales en Tunisie. Pour le paramédical, il n’y a pas de score, mais on est dans les mêmes conditions d’admission que dans l’étatique. Chaque année, le nombre d’étudiants admissibles dans les spécialités paramédicales est fixé par le système d’orientation dans le respect des performances scolaires et en prenant en compte la capacité d’accueil des institutions. Les établissements privés, toutes disciplines confondues, prennent cela en considération et choisissent les meilleurs dans la liste des candidatures et dans l’ordre de mérite.

Le nombre d’étudiants étrangers admis dans le privé dépasse celui dans le public.

Combien d’étudiants dans le secteur privés ?

Mr Mounir MAALI : Nous en avons aux alentours de 42.000 étudiants en 2022, dont près 5.000 étrangers, soit 12% du nombre total d’étudiants inscrits. A relever que le nombre des étrangers admis dans le privé dépasse celui dans le public.

Est-il vrai que l’inscription des étrangers dans le privé se fait pour d’autres raisons que celles de suivre des études supérieures en Tunisie ?

Mr Mounir MAALI : Techniquement, ce n’est pas possible. Les étrangers inscrits dans les établissements privés figurent dans nos registres ils y sont dès l’inscription et jusqu’à obtention du diplôme. Pour avoir le visa, il faut que l’inscription soit visée, et la présence de l’étudiant, tout le long de l’année, est vérifiée par nos services. Il y a un suivi rigoureux et un contrôle régulier des autorités à ce niveau-là. Et ceux qui espèrent faire de la Tunisie une zone de transit n’y réussissent généralement pas.

Une quatre vingtaine d’établissements privés, ce n’est pas peu ? Est-ce que cela permet d’alléger le poids sur le public ? Et d’après vous les parents choisissent-ils le privé parce qu’ils estiment qu’il y a un meilleur encadrement et une meilleure formation ?

Mr Mounir MAALI : Je reviens toujours à la complémentarité entre le public et le privé, et puis il faut prendre en considération la capacité d’accueil dans certaines filières. Tout étudiant a droit à une orientation universitaire dans un établissement public d’enseignement supérieur public. Le choix d’aller ailleurs revient à l’étudiant qui, peut-être, a ainsi la possibilité de choisir la filière qui lui convient le plus avec moins d’exigences de la part des établissements concernés dans le privé.

De plus en plus, on recourt au secteur privé pour profiter d’un large éventail de cursus universitaires.

En outre, nous ne pouvons ignorer qu’aujourd’hui, il existe une culture qui s’installe de plus en plus et qui se traduit par le fait de recourir au secteur privé pour profiter d’un large éventail de cursus universitaires. Rappelons à ce propos qu’avant la promulgation de la loi n°2000- 73, les établissements supérieurs privés tolérait les non-bacheliers, chose qui n’existe plus maintenant ; sachant que l’équivalence n’a pas été accordée à cette catégorie d’étudiants.

Qu’en est-il des enseignants ? Étrangers ou venant des institutions publiques ? Y a-t-il des freins quant à leurs missions dans les universités privées.

Mr Mounir MAALI : Légalement, un enseignant du public peut assurer des cours qui ne doivent pas dépasser les quatre heures par semaine dans le privé. Il s’agit des docteurs, des maîtres assistants et des maîtres de conférences.

Comment l’Etat est présent dans les établissements privés par rapport aux cursus et au suivi des programmes ?

Mr Mounir MAALI : Le contrôle des programmes d’enseignement se fait par les commissions sectorielles qui assurent l’évaluation de ces programmes. Soit les mêmes commissions qui procèdent à l’évaluation des programmes dans le public. Les programmes sont ensuite soumis à l’avis de la commission consultative d’octroi de l’autorisation pour la création d’un établissement privé d’enseignement supérieur -ou de son retrait- et à l’approbation du Conseil des universités. Concernant les programmes d’enseignement, ils sont évalués tout à fait comme ceux dans le public dans le cadre des commissions sectorielles, de la même manière et avec les mêmes exigences. Chaque année, les établissements privés envoient les dossiers complets de démarrage de l’année au plus tard à la fin du mois de novembre. Ces dossiers comprennent la liste des étudiants inscrits, la liste des enseignants, les programmes à enseigner, le planning des examens ainsi que les détails du déroulement de l’année universitaire, les emplois du temps et les autorisations pour les enseignants du public. A cela s’ajoute le contrôle des examens effectués soit par des équipes du ministère ou par les universités publiques. Il y a aussi le contrôle approfondi qui peut être effectué par l’inspection générale au cas où il y a une plainte, un rapport sur des mauvaises pratiques ou des suspicions sur des mauvaises pratiques.

Nous recevons souvent des plaintes des étudiants même pour les problèmes banals, et en retour nous assurons le suivi exigé mais si jamais il y a des requêtes plus importantes, une équipe de l’inspection générale se charge des investigations nécessaires.

Qu’en est-il de l’équivalence des diplômes reçus dans le privé avec ceux dans le public ?

Mr Mounir MAALI : A chaque demande d’équivalence, il y a une commission, par spécialité, qui contrôle tout le cursus universitaire, depuis le bac : la nature du bac, l’orientation, la présence, les notes… et ce jusqu’à obtention du diplôme final. Les établissements privés doivent nous remettre les procès-verbaux des conseils de délibération, chaque année 8 jours après la tenue du conseil, et c’est un moyen de contrôle de la qualité des formations dispensées et du sérieux des étudiants.

Nous voulons que le privé et le public soient non seulement complémentaires mais se concurrencent dans la qualité des études universitaires et le niveau des étudiants.

Nous partons du principe qu’il n’y a aucune différence dans le niveau de l’enseignement et la qualité des programmes offerts entre établissements privés et publics. Ceci sachant que certains établissements font mieux que d’autres, mais la référence est pour nous les programmes autorisés par les autorités concernées au ministère de l’Enseignement supérieur.

Le secteur privé opte pour l’internationalisation des programmes. Pourquoi le ministère est-il réticent par rapport à cette sollicitation ?

Mr Mounir MAALI : C’est discutable. Dans un sens, cela permet au privé d’évoluer et d’avancer. Par exemple, l’aéronautique n’existe pas dans l’étatique, pourtant cette spécialité est enseignée par le privé. Dans un autre sens, il est de notre devoir, en tant qu’Etat, d’assurer l’équité entre tous les jeunes qui aspirent à faire de grandes études, nous voulons que le privé et le public soient non seulement complémentaires mais se concurrencent dans la qualité des études universitaires et le niveau des étudiants.

Sources WMC – propos recueillis par Amel Belhadj Ali – WMC – Hors-Série

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